Carton rouge aux connivences de la haute finance française avec les pouvoirs publics

BanquesLe groupe Long Terme du Club des Vigilants vient de décerner un de ses « cartons rouges » aux connivences de la haute finance française.

« L’un des principaux risques économiques de moyen et long terme qui pèsent sur l’Europe est le lien qui s’est créé entre les Etats européens et leurs plus grandes banques : ces banques sont devenues incontrôlables et imposent le soutien du contribuable si et quand leurs opérations financières les mettent en danger. Ce risque n’est pas théorique : il explique largement le pire appauvrissement collectif subi par les Européens depuis la seconde guerre mondiale, lors de la dernière crise.

Une caractéristique française aggrave ce risque : la consanguinité de nos élites administratives, politiques et financières. Ces derniers jours ont illustré à trois reprises ces conflits d’intérêt de nos élites financières publiques et privées :

- les déclarations du gouverneur de la Banque de France (1) contre les propositions du commissaire européen Barnier, le faisant apparaître comme le porte-parole des grandes banques ;

- la mise en examen du président de la banque BPCE François Pérol (2), pour avoir  directement suivi la gestation de BPCE avant sa nomination comme secrétaire général adjoint de l'Elysée (et avant comme directeur de cabinet du ministre des finances puis banquier d'affaire chez Rothschild).

- la polémique sur la nomination d'une banquière d’UBS (3) à la commission des sanctions de l'AMF qui nous rappelle que des banquiers siègent toujours dans la commission chargée de sanctionner des banquiers.

Oublions même la morale : il ne faut plus nous habituer à des comportements que la taille des grandes banques rend bien plus dangereux aujourd'hui qu'il y a 20 ans. »

La note ci-dessous précise les trois conflits d’intérêt cités dans le « carton rouge ».

(1) Concernant les déclarations du Gouverneur de la Banque de France sur les propositions de la Commission européenne.

La Commission vient de proposer une directive sur la façon d’éviter que les difficultés d’une ou plusieurs grandes banques plongent à nouveau l’Europe dans la crise. La commission a pris soin de réunir un groupe réunissant tous les points de vue qui est arrivé à une position consensuelle, le rapport Liikanen (du nom d’un autre gouverneur de Banque centrale qui le présidait). Les grandes banques ont trouvé que la proposition (séparer les activités de marché des activités de dépôt et de crédit et interdire les activités de marché pour compte propre) ne prenait pas suffisamment en compte leurs positions. Le commissaire européen Barnier a remis l’ouvrage sur le métier, consulté à nouveau toutes les parties pour aboutir à une proposition plus prudente : 60 pages de texte et 600 pages d’annexes techniques. Quelques heures après publication, Christian Noyer a déclaré: « Les idées qui ont été mises sur la table par le commissaire Barnier sont des idées, je pèse mes mots, qui sont irresponsables et contraires aux intérêts de l'économie européenne ». Le gouverneur apparait comme le porte-parole de grandes banques dont il reprend sans nuances les arguments, alors qu’il préside l’Autorité qui les supervise. Il a pris les mêmes positions sur l’autre grand dossier financier européen du moment, la taxe sur les transactions financières.

(2) Concernant la polémique qui a entouré la nomination de Madame Françoise Bonfante, banquière d’UBS, à la Commission des Sanctions de l’AMF (l’autorité chargée de contrôler les marchés).

Madame Bonfante a travaillé à la Banque UBS, qui a été sanctionnée par l’AMF pour des pratiques commerciales douteuses. Le Ministre des Finances, après avoir approuvé sa nomination, a demandé à Madame Bonfante de démissionner, alors que ses qualités personnelles ne sont nullement en doute : une façon d’éteindre à court terme l’incendie provoqué par cette nomination, UBS ayant été sanctionné pour des pratiques encourageant la fraude fiscale. Cette démission ne réglerait en rien le problème posé par cette nomination : un banquier serait remplacé par un autre banquier, venant d’une banque qui elle aussi a été et sera sanctionnées par l’AMF, pour une raison ou pour une autre. Le vrai problème est que des banquiers siègent à la commission censée sanctionner d’autres banquiers. Notons que la France se singularise parmi les grands pays pour la modestie de ses amendes aux banques en cas de sanction. Ceci explique peut-être cela.

(3) Concernant la mise en examen de François Pérol, président du groupe BPCE. 

Reprenons la chronologie. Haut fonctionnaire directeur de cabinet du ministre des finances en 2004, François Pérol suit (« organise » explique Wikipédia) l’achat par les Caisses d’Epargne de la banque de marché Ixis ; il pantoufle en 2005 à la banque Rothschild où son grand dossier sera justement la fusion d'Ixis, filiale des Caisses d’Epargne, avec Natexis, filiale des Banques Populaires, pour créer Natixis, une fusion ratée qui conduira à une catastrophe ; François Pérol revient début 2007 dans le public, Secrétaire général adjoint à l'Elysée où il gère directement les conséquences de cette catastrophe et impose une fusion complète aux deux groupes bancaires actionnaires avec un patron unique ; début 2009 il repasse à nouveau dans le privé, comme président de ce nouveau groupe BPCE dont l’Etat vient d’imposer la création (court-circuitant au passage la commission de déontologie censée empêcher le passage de hauts fonctionnaires dans des entreprises privées dont ils avaient le contrôle).

Au-delà même de ces errements, saluons également les positions courageuses quand elles sont prises : celle du juge d’instruction de l’affaire Pérol, et la première interview au Financial Times  de Danielle Nouy. Cette française discrète au caractère bien trempé prend la responsabilité du contrôle des banques européennes. Elle déclare sans ambigüité qu'il faut savoir laisser certaines banques faire faillite si l’on veut vraiment casser le lien entre les Etats européens et leurs banques ; et que ce lien est l’une des principales fragilités de l’Union. Cette femme a fait toute sa carrière au service de la régulation bancaire française et européenne sans jamais passer ni par la haute administration, ni par les cabinets, ni par la banque privée. Le Financial Times titre « qu’elle se prépare à être impopulaire » (entendez : auprès des banquiers). Ceci explique peut-être cela.

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Commentaires

Bravo au groupe L.T. pour ce diagnostic très pertinent. Il est certain que la "consanguinité de nos élites administratives, politiques et financières" est un problème majeur de notre société et nous coûte très cher. Ceci dit, il faudrait chercher les causes et les remèdes à ces maux. N'y aurait-il pas un rapport avec le constat que la très grande majorité de nos élites sort de la même école?

Bonjour,

Je vous conseille l'excellent livre de Flore Vasseur : " En bande organisée "

Qui a pour sujet les connivences de la haute finance avec les pouvoirs publics...

D'ailleurs si le club le désire, je peux lui demander de venir nous présenter son enquête.

Sky

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