Arrogance à la française

Selon plusieurs articles parus dans la presse française, le Centre d'analyse stratégique (ex Commissariat du Plan) prévoit que, d'ici 2015, les emplois vont foisonner dans deux secteurs : les emplois  « hautement qualifiés et spécialisés » (notamment dans l’informatique) et les emplois « peu qualifiés » (notamment dans les métiers de service).

Je bute sur ces termes d'« emplois peu qualifiés » dont je me demande s'ils n'expriment en même temps qu'un travers français, la morgue des supers diplômés vis-à-vis de ceux qui ne le sont pas. Les emplois de service exigent, pour être bien remplis, de fortes qualités personnelles : débrouillardise, sens de l'organisation et de la   responsabilité, empathie et bien d'autres qualités qui s'apprennent dans la vie sinon en passant des concours.

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Commentaires

Bravo pour avoir relevé ce "travers français", ou plutôt ce travers de ceux qui se considèrent comme constituant l'élite française...
Mais ce décalage entre ce que l'élite française pense être et ce qu'elle est, ne cesse de grandir...
Ne voit-on pas aujourd'hui (hélas) beaucoup de nos diplômés d'institutions "prestigieuses" (que je ne nommerai pas) au chômage, tandis que nos entreprises s'arrachent les jeunes diplômés IUT, CNAM et que les professions "peu qualifiées" comme kinésithérapeutes, plombiers, etc, sont riches ?
Le "nombrilisme" de l'élite française a fait bien du tort à notre pays, et ça continue...

@Alain de Vulpian

Il est assez étonnant que nos nouveaux stratèges du C.E.S. découvrent une sorte d'évidence que certains avaient déjà imaginé il y a plus de 10 ans ( Cf. la conférence du Fairmont à San Francisco ). L'un des " attracteurs étranges" comme le disent les spécialistes de la théorie du Chaos, est la répartition des 2/10° : 2 personnes dans l'économie mondialisée, à forte valeur intellectuelle et professionnelle, seraient, selon cette prévision, suffisantes pour produire la totalité de la valeur marchande possible et 8 personnes se trouveraient donc en situation de ne pas participer réellement à cette économie du monde ! L'équation semble simple si on suit ces prévisionnistes de l'Ouest américain : 2 avec diplômes et 8 sans diplômes.

Le diplôme, en France, pays de tradition profondément aristocratique, permet une sorte de discrimination sociale légale. C'est sans doute pour cela que l'Administration n'offre de postes intéressants et socialement valorisés qu'aux détenteurs de diplômes sans tenir compte d'une quelconque "efficacité professionnelle" acquise par l'expérience et dans de nombreux cas, utilise les non-diplômés pour faire le travail des "aristocrates - diplômés".
Dura lex, sed lex !

La maladie de la diplomite a quitté l'Administration Française et a complètement contaminé le secteur privé où les grandes Entreprises ont de plus en plus tendances à recruter des "surdiplômés".

Le secteur de l'informatique, par exemple, en est un cas concret. Dans les années 70, la plupart des informaticiens se formaient "sur le tas" car, bien évidemment, il n'existait pas encore à l'époque de formation diplômante. La croissance du secteur et sa complexification, dit-on, a entraîné un arrêt d'embauche brutal de collaborateurs pas, peu ou mal diplômés. En outre, les entreprises se sont mises à embaucher non plus de l'expérience concrète mais... du potentiel d'adaptation et d'évolution.

Sans doute aussi par qu'il est en effet bien moins cher d'embaucher un jeune ingénieur dont la formation aura été financée par l'Etat et un peu par lui-même, plutôt que par l'Entreprise dans le cadre d'une période peu productive d' "apprentissage" ou d'une "montée en compétence dans la durée".

Comme je l'ai entendu dire par un DRH que j'ai croisé : " Le diplôme comme l'âge sont les deux seules caractéristiques qui permettent une discrimination légale et acceptée dans l'entreprise et ils sont des raisons opposables à toute négociation ou conflit d'intérêt en matière de travail et de rémunération..."

Pour ce qui est des "emplois peu qualifiés", je pense aussi que le terme est mauvais et qu'il serait plus clair de parler d'emplois ne nécessitant pas de diplômes préalables à l'embauche ou une longue période de formation au sein de l'entreprise. De tels emplois, ne relèvent pas du monde industriel, de plus en plus rationalisé, théorique et logique, mais du monde de la relation humaine, du service d'un être humain à un autre être humain.

On ne peut pas dire que cela ne soit rien sauf à dire que la relation humaine n'est rien. Pour les trouver, il suffit donc de regarder quelles sont les activités dont la production visible est un service rendu à une personne en quasi temps réel. Ce sont bien les emplois dits de service de proximité. Ils ne sont pas à confondre avec les emplois dans les grandes entreprises dites de service ( utilities ) pour lesquelles, au contraire, la rationalisation de type industriel est en train d'entrer à très grand pas (assurance, banque, énergie, télécommunication, eau, etc. )

Ces "entreprises de service" vont au contraire constater des gains de productivité considérables dans les prochaines années du fait du progrès technologique en cours. Ce ne sont pas elles qui pourront, dans l'état actuel de leur organisation et de leurs offres, procurer de tels emplois en nombre suffisant.

Alors, seul le secteur de l'humain ( le social, le médical, le dépannage et la réparation, les services de proximité à la personne, etc. ) serait-il porteur dans nos vieilles démocraties ?

Peut-être une voie nouvelle pour recréer ce "lien social" aujourd'hui si distendu…

Le terme d'emplois peu qualifiés utilisé par le C.E.S, si on le met en perspective avec le concept des 2/10 (conférence de Fairmont à san Francisco) véhicule un message subliminal révélateur de la vision des "élites" pensantes asphyxiées par l'idée même de leur supériorité.
Eux, bien sûr, font partie des 20% d'êtres exceptionnels dont l'humanité ne peut se passer, tandis que les 80% restants sont justes bons à faire le ménage, ou l'intendance.

Les hommes de pouvoirs adorent être flanqués d'une éminence grise, et cette dernière jubile de cette proximité avec le pouvoir : c'est un deal win-win.
Hors de ce rôle, les sur-diplômés sont priés de faire gagner de l'argent au plus vite car leurs équivalents indiens sont bien "meilleur marché"...le chômage affecte ceux qui se vendent mal.

La théorie des 2/10, outre son caractère discutable sur le fond, (observons le monde réel) conduit, si on l'approuve, à de sinistres conclusions :

1. Les richesses vont "naturellement" à quelques-uns, les 20% d'übermenschen" ayant vocation à dominer le monde, cette domination étant légitimée par leur capacité à "créer" seuls le PIB mondial.

2. L'accroissement des inégalités serait donc dans l'ordre des choses, pleinement validé par l'utilité supérieure des 2/10 qui produisent tout, les autres n'étant que des subalternes interchangeables à la limite du parasitisme.

3.C'est une version moderne du droit divin à dominer accordé aux aristocrates de l'ancien régime. (Dieu, c'est le Marché) Une exclusion massive et unilatérale de 80% d'humains de l'accès à la prospérité ou tout au moins à l'élévation sociale.

4. Il s'ensuit qu'une concurrence féroce doit "sélectionner" ceux des 80% de "non qualifiés" qui devront tout faire pour obtenir les faveurs des "élites", par des enchères inversées permanentes, soit un rapport de force constamment à l'avantages des 20%.

5. Cette vision est injuste du fait qu'elle se base sur une concentration de la valeur ajoutée en quelques entités économiques "phares" alors que la production réelle est assurée par les petites mains à ShanghaÏ ou petites têtes à Bangalore (des pays à fort taux de misère). Les salaires bas et faibles protections sociales confèrent à ces pays un rôle idéal d'accueil des entités économiques "cachées" de production à coûts réduits, mais qui réalisent la VA grâce à leur tolérance à la misère.

Si des sociétés comme Microsoft peuvent aisément valider de tels schémas sans trop délocaliser, cela tient à la nature même de leur métier où le CA augmente hors de proportion avec les coûts. Une situation de rente permanente, confinant à l'enrichissement sans cause.

En revanche, pour l'industrie et le commerce de matières, l'explosion de VA (dont la somme = PIB) se fait idéalement selon cette méthode : production en zones d'indigence, vente en pays riches et rapatriement des profits si possible en paradis fiscaux.

Réfléchissons : "Produit Intérieur Brut"
Dans l'économie mondialisée, les sociétés transnationales n'ont plus d'"intérieur". Tout le vocabulaire est à revoir. La mystification est partout.

Voulons nous avaliser la société de la confrontation, du rapport de force, des inégalités imposées aux moins forts ? Si oui, c'est peut-être que nous sommes déjà dans les 2/10, ou projetons d'en être...En tout cas nous renonçons alors sciemment à bâtir une société humaniste.
Mais le réveil sera pénible pour tout le monde...

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