Al Jazeera pour les « Frères »

Dans l’attente de la fin du processus des élections égyptiennes et, dans un contexte de violence accrue, Al Jazeera, la grande chaîne qatarie, s’est nettement démarquée d’Al Arabia, la chaîne saoudienne qui prenait ouvertement parti pour les plus durs et les plus sectaires des Musulmans, les Salafistes.

En affichant le pluralisme, Al Jazeera s’est efforcée de montrer que l’Islam est démocratico-compatible. Ainsi, les manifestations anti-armée que les "Frères musulmans" tentent de contrôler sont-elles présentées benoîtement comme l’appel à un Ordre Moral conforme aux aspirations populaires. C’est l’aboutissement d’une longue campagne qui a d’abord contribué à promouvoir le « Printemps arabe » puis à aider les « Frères » à le récupérer (Lire : Al Jazeera mène la danse).

Al Jazeera, dont le budget est estimé à près de 500 millions de dollars, est subventionnée par l’Etat dont l’émir, Cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, est suffisamment intelligent pour ne pas donner de consignes directes aux différentes rédactions d’un groupe audiovisuel désormais puissant et diversifié. C’est l’un de ses atouts et non des moindres.

Depuis le début du printemps tunisien, les reporters et commentateurs d’Al Jazeera ont jubilé. Ils pouvaient se permettre d’être du "bon côté", c’est-à-dire pour la démocratie et contre les tyrans. Il leur était seulement conseillé d’être prudents sur les évènements de Bahreïn. Il ne fallait quand même pas trop marcher sur les pieds de l’Arabie Saoudite, cette grande voisine.

Aujourd’hui, même cette prudence n’est plus totalement de mise. Le Royaume est jugé trop réactionnaire et ses madrasas trop obscurantistes. Le Qatar reste son alliée mais cette alliance n’est plus exclusive. Le petit émirat est présent sur tous les fronts. Quand il s’agit de renverser Kadhafi, il appuie sans réserve la France et l’Angleterre. Quand il s’agit de condamner le régime syrien, il est aux avant-postes. Ses réserves de gaz (les troisièmes du monde) lui donnent toute latitude pour seconder, quand il le faut, la diplomatie avec un carnet de chèques et patronner, pour le prestige, des manifestations culturelles (comme, tout récemment, le « Sommet mondial pour l’innovation dans l’éducation »). Ainsi, le minuscule Qatar (11.000 km², 900.000 habitants), petite presqu’île de la péninsule arabique avec l’Iran de l’autre côté de la mer, est-il devenu l’un des pays les plus influents de la planète.

Reste à savoir quels sont les buts et les arrière-pensées de l’émir. L’Islam qu’il promeut pourra-t-il, sur la durée, être vraiment tolérant ? Les « Frères » seront-ils longtemps respectueux des libertés publiques ? Le premier test sera la Tunisie. Un gouvernement est au banc d’essai.

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