Afrique : après le printemps, les étés

Personne ne pouvait croire qu’après le « printemps arabe », la démocratie allait s’installer uniformément sur toutes les rives de la Méditerranée et jusqu’aux confins de l’Arabie. C’est donc avec un regard sur les particularités de chaque nation – et, là où il n’y a pas de vraie nation, de chaque communauté - que Vigilances a tenté dans ses précédents numéros de repérer quelques risques et quelques chances.

De même aujourd’hui :

Au Maroc, la Constitution proposée par le Roi et soumise à référendum est une incontestable avancée.

Le souverain garde l’essentiel de ses prérogatives mais il y a comme une esquisse de régime parlementaire et comme un début de reconnaissance du droit des personnes. L’essai sera-t-il transformé ? Le progrès deviendra-t-il tangible ? Deux conditions, au moins, sont à remplir. Primo : les responsables des partis politiques devraient avoir le courage et l’envie d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour exiger des réformes et non se contenter d’occuper des places et de flatter le Roi pour jouir de prébendes. Secundo : le Roi, pour convaincre le peuple de sa bonne foi, devrait faire le geste symbolique de limoger un ou plusieurs corrompus notoires. De préférence choisis dans son propre entourage.

En Algérie, il ne se passe une semaine sans qu’une émeute de jeunes éclatent ici ou là dans le pays. Pendant ce temps, le pouvoir algérien regarde ailleurs et semble occupé par son grand œuvre : réintégrer les islamistes dans le jeu politique.

Petit frémissement en revanche du côté de la société civile : récemment des dizaines de sociologues et d’économistes algériens ont mis en garde le pouvoir contre une  banalisation de la violence des jeunes qui serait, à leurs yeux, contre-productive.  Cette violence est aujourd'hui l'expression de la volonté de changement, avertissent-ils, préconisant «un processus de socialisation d'une jeunesse délaissée et laissée-pour-compte». «Le chômeur en Algérie est jeune, diplômé et urbain, un mélange détonant, concluent-ils.» Mélange qui rappelle à s’y méprendre la situation tunisienne de Ben Ali, les islamistes en moins.

En Tunisie, le gouvernement de transition a joué de malchance : une saison touristique calamiteuse et la guerre en Libye avec son afflux de réfugiés ont détérioré une situation économique déjà mal en point. Avec près de 70 partis, la cacophonie est totale. Les optimistes croient à une décantation rapide et à l’avènement d’une démocratie mature après ce qu’ils estiment être une étape normale : celle de la démocratie infantile actuelle.

En Libye, les craintes exprimées dans Vigilances 90 se sont – hélas ! – révélées fondées. Après plus de 100 jours d’intervention, Kadhafi est toujours là. Si la coalition finit par le contraindre à capituler, elle pourra dire - comme Clemenceau lorsqu’il est arrivé au pouvoir - « Enfin les ennuis commencent ! ».

Le pays n’existe pas. Les tribus auront du mal à s’entendre. Les ressources pétrolières aiguiseront les jalousies et le désert est si vaste que des « katibas » pourraient s’y installer. Pour l’Europe et pour la France, il sera à la fois imprudent de s’impliquer et dangereux de ne pas le faire.

En Egypte, c’est la panne. Personne n’ose prendre la moindre responsabilité. Les caisses sont vides. L’urgence est de pouvoir continuer à subventionner la nourriture de base.

Politiquement et socialement, les "Frères musulmans" gagnent en influence.

En Syrie, Bachar el-Assad est en quête de boussole. Une de ses oreilles entend la voix de Téhéran qui le pousse à persévérer dans son attitude répressive. L’autre entend la voix d’Ankara qui le presse d’arrêter les dégâts. La sauvagerie a été telle que des demi-réformes ne peuvent suffire. Le gouvernement turc espère, pourtant, qu’à un moment ou à un autre il pourra contribuer à une sortie de crise.

Recep Erdoğan et son ministre des Affaires Etrangères, Ahmet Davutoglu, préparent le terrain depuis plusieurs années. Conformément à leur doctrine du « zéro problem » avec tous les voisins, ils ont d’abord renforcé les liens économiques et densifié les relations diplomatiques avec l’Iran. Ainsi ont-ils pu, sans attirer les foudres des mollahs, forger une relation spéciale avec la Syrie. Des réunions à tous niveaux ont pratiquement été institutionnalisées. Des conseils de ministres communs ont même été instaurés.

Aujourd’hui, Abdullah Gül, président de la République, et Recep Erdoğan critiquent ouvertement la répression. Ils sont prêts à lâcher Assad sachant que la minorité alaouite ne peut ignorer que, tôt ou tard, la majorité sunnite risque de se venger. Les chiens de la division ethnique sont lâchés. Seule la Turquie peut servir de caution.

En Arabie, les dirigeants sont crispés. Les timides réformes engagées (université mixte, dialogue avec certains Chiites) sont au point mort. Le soutien à la répression menée à Bahreïn est constant. La crainte d’un expansionnisme iranien subsiste. Les liens avec le Pakistan sont renforcés. L’idée de « Bombe Islamique » prend corps.

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